Journal de l'Ecole  Normale
 

N°1
 


 

29 Mai 2003

 
 

 

En ce temps-là.....

 

Nous voici donc à l’œuvre pour relancer le journal de notre Amicale des Anciens Élèves de l'E.N, de Lescar.

Ce terme d' "ancien" me renvoie à cette période Elève-Maître (tel était notre titre), j'observais ces vieux messieurs qui, une fois l'an, parcouraient les couloirs de notre maison, se cantonnant, bien sûr, aux parties les plus anciennes. Qu'ils étaient donc émouvants et, pour nous les jeunes, quelque peu ridicu­les, s'extasiant devant les vieilles pierres et évoquant, les yeux tout embués, des souvenirs d'une époque tout était "mieux !"

Et maintenant, c'est moi l'Ancien ! Pensez donc, 56-60 plus deux années comme "pion"! L'an dernier, nos retrouvailles bénéharnaises m'ont aussi apporté leur bon petit pincement au cœur !

 

Quand l'ami Jean-Pierre m'a demandé de rédiger un billet de souvenirs, c'est avec un grand plaisir que j'ai accepté, car, des souvenirs, j'en ai tellement, tant comme élève que comme surveillant en espérant seulement ne pas, moi aussi, sombrer dans trop de lyrisme nostalgique. Les idées fourmillent et il faut choisir pour ce premier numéro. Pourquoi pas ceci :

" RÉVEIL A L'EN " par le pion de service.

Rentrée 1960

J'occupe depuis peu cette jolie chambre qui fait suite à celles des élèves, tout au bout du bâtiment neuf (aile droite), donnant sur les garages.

6 heures.... le réveil sonne. " Un surveillant de futurs instituteurs doit se montrer en tenue impeccable !" m'avait plusieurs fois répété ma basquaise de mère (qui n'avait aucune idée de ce qu'était l'E.N., mais qui était si fière de mon poste). Donc, lever, toilette (avec rasage de près), habillage avec même mon veston des "dimanches", et en avant vers la sonnette !

Tout le monde le sait, le bouton se trouve près de la grande porte d'entrée, face au bureau du Patron.

6H30 précises, moment palpitant' ,. j'appuie assez, longuement une fois, une seconde fois, impressionné par les échos, que je déclenche, mais avec, je dois l'avouer, un certain sentiment de puissance: pendant quatre ans, j'ai été réveillé par cette torturante mécanique. Aujourd'hui, c'est á moi qu'elle obéit pour réveiller les autres!

Réveiller est un bien grand mot, car certains ont le sommeil lourd. Me voici en route, chambre après chambre ( en 1960, les grands dortoirs n'existaient plus): " Allez, debout", et d'allumer la lumière , sauf quand c'est (très, très rarement) déjà fait. En guise de bonjour, on me retourne de vagues grognements ou des :

"Oh non, Riri, pas déjà, tu es vache !" ...

C'est aussi une tradition. Premier tour terminé, c'est l'heure du petit déjeuner du pion.

A la cuisine, tout le monde s'active : Pierre, Jo, Lucien et Robert disposent à grand bruit bols et cuillères dans les réfectoires, Louisette est à l'éplucheuse électrique , Marie surveille la grande cafetière (non électrique) et la marmite de lait qui chauffent sur l'imposante cuisinière à  charbon. Marinette a déjà rejoint sa lingerie, j'irai la saluer plus tard.

Bonjour à tous ! Mon bol m'attend au bout de la longue table.

Bien lesté, je remonte pour ma deuxième tournée des chambres. Le règlement voudrait que je "colle" tous ceux qui seraient encore au "pieu", mais, bon, j'en étais il y a peu et il se trouve quelques "4émes" qui sont de ma promo. Alors, je houspille un peu, je promets la foudre et puis, cahin-caha, à peu prés tout le monde est debout, sauf les malades, bien sûr.

I1 faut que je vous dise que cette heure-là est parfois bien traître ! Après une mauvaise nuit ou à cause de quelque contrariété, il arrive que le Patron, d'humeur maussade décide- une visite surprise. Alors, quelques heures de colle tombent, sauf s'il y a eu à temps, alerte générale.

Souvenir d'un matin particulier à ce sujet: mon second tour fini, alors que les élèves sont censés, toilette faite, s'occuper de ménage, je rejoins le bureau directorial pour la permanence matinale.

A peine assis, un tourbillon d'humeur grincheuse pénètre dans les lieux et m'apostrophe: "Donne-moi ta liste de flemmards coincés au " pieu!" Bien sûr, je n'avais noté aucun nom, mais j'ai senti que ce n'était pas le moment de discuter, et puis, devant le patron en grosse colère, j'ai flanché! En toute lâcheté, et persuadé que c'était sans risque, j'ai donné cinq noms dont j'étais sûr que leurs propriétaires avaient, comme tous les jours, attendu l'heure du réfectoire pour s'extraire du lit. Malheur! c'était bon pour quatre, le cinquième, par extraordinaire, était levé. Le patron s'empresse de l'ajouter á sa liste de collés pour 1e dimanche suivant. Inutile de vous conter l'horreur de mon entrevue avec l'innocent condamné et révolté. Je lui ai avoué ma faiblesse et il m'a expliqué que, justement, il s'était acheté une conduite irréprochable cette semaine-là car il devait se rendre à un rendez-vous " vital " le dimanche en question, et à Biarritz ! Eh bien, ne le dites à personne, pour me faire pardonner, et avec mille et une recommandations de prudence, je l'ai laissé filer dès le samedi après-midi. Côté E.N., j'étais tranquille, étant moi-même de permanence et sachant que le Patron partait pour le week-end. Mais, quand j'y pense, quel risque !

Enfin, tout s'est bien passé, et l'élève n'en a pas voulu au pion et a continué, sauf obligation dominicale, de faire la grasse matinée aussi souvent que possible.

Et pendant la demi-heure de ménage (supervisée par notre intendant au doux surnom de fruit méditerranéen), tournée des malades, car j'étais aussi infirmier.... Mais ceci est une autre histoire.

 

H. Sapparert dit Riri

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