Par Yves Coup, pour l'Amicale, lors des obsèques.
Quand
mon ami Gérard Pommès m'a appelé hier à mon école pour
m'annoncer la triste nouvelle du décès de M. Barets et me
demander de prendre part à l'hommage que nous voulions lui
rendre, même si j'ai hésité, brièvement, craignant trop
d'émotivité devant notre assemblée d'anciens élèves, d'amis
de notre cher prof de gym, j'ai rapidement accepté cet honneur
même si ma gorge risque de se nouer parfois, même si parler de
quelqu'un, des souvenirs qu'il nous rappelle, de ce qu'il a
représenté pour vous, pour moi, c'est forcément parler de
soi-même. Parler de moi, certes, mais pour dire ce que M.
Barets a su me donner, je préfère dire ... m'infuser, me
distiller lentement mais efficacement, à une époque où
j'entrais à l'EN, en 1965, petit lycéen palois timide et
rondouillard sorti des jupes de sa mère pour plonger dans un
monde d'ados boutonneux (je ne l'étais pas encore) et
gouailleurs, de Souletins qui me dépassaient d'une tête, d'Aspois
et d'Ossalois endurcis par leur enfance montagnarde, des
Madiranais aussi larges et forts que leurs pères vignerons. Il
allait falloir apprendre à montrer les dents, à passer au
travers des volées de polochons dans ces parcours du combattant
initiatiques, résister au « Rance » vindicatif et
agressif toujours bizarrement en manque de clopes au moment de
monter en salle d'étude.
Quand
je me suis trouvé pour la première fois face à mon prof de
gym, le sport, c'était pour moi une année de judo, une seule.
Ceinture blanche, jaune et... l'abandon : je n'aimais pas les
chutes. Monter à la corde ? ... 1 mètre... pas plus. J'avais
bien les copains sur la place pour jouer au foot après les
devoirs. J'avais bien mes copains du lycée : ils m'amenèrent
jouer au rugby dans un club palois ... où je me distinguai par
mon abnégation à occuper le banc des remplaçants. Ils
voulaient être prof de gym et le sont devenus, mais je fus vite
à cette époque un frein à leurs courses préparatoires.
Et
puis l'EN. Et c'est là que j'ai découvert M. Barets, ce petit
(à cette époque, il était à peine plus grand que moi et ça,
ça me convenait) petit bonhomme trapu à la voix autoritaire à
la fois rocailleuse et chuintante, faisant preuve en même temps
de persuasion et d'affabilité, de compétence et d'ouverture
devant de grands gaillards qui le dépassaient d'une tête et
qui, malgré l'esprit frondeur et contestataire dû à leur age
savaient rester à l'écoute devant la passion du sport qu'il
savait nous transmettre.
Je
me souviens encore avec quelle précipitation nous descendions
à la salle de sport le
mercredi matin (ou le Jeudi... je ne sais plus) pour savoir dans
quelle équipe nous jouerions l'après- midi. Car il ne
s'envisageait pas de passer le mercredi sans sport Co. Peu
importe si nous jouerions au hand, au basket, au rugby, si nous
partirions à Orthez, à Oloron ou à Montardon, si nous
saurions dribbler, pousser ou shooter ; l'important, c'était de
trouver notre nom sur le tableau, d'avoir été sélectionné
par le coach. Tout le monde avait sa place dans une équipe,
c'était l'essentiel pour qu'on puisse aller représenter notre
école : on y serait même allé pour couper les citrons ! M.
Barets nous faisait confiance, il me faisait confiance, javais
pris confiance, j'étais devenu un champion... dans ma tête,
qui l'aurait cru ? Robert Paparemborde et Alain Larrouquis ?
Même pas peur !! J'avais, grâce à lui et sans m'en rendre
compte, découvert les vertus de l'esprit d'équipe, de l'effort
sportif et du don de soi... Tout ce qui devait bâtir un
enseignant accompli, altruiste et dévoué aux autres.
Lors
de notre année de Formation professionnelle, alors que M.
Berthoul, le Patron comme nous l'appelions, s'étonnait des
absences répétées de certains aux cours de psycho de l'enfant
ou de pédagogie appliquée, M. Barets pouvait se vanter de
faire le plein à toutes ses leçons. Personne n'aurait manqué
l'heure de gym où il notait scrupuleusement sur un carnet
chacune de nos performances, les annotant d'un commentaire sur
notre tempérament ou notre application. J'ai eu le bonheur, il
y a 2 ans, lors de notre repas des Anciens, auquel il
participait fidèlement, de pouvoir relire toutes ces remarques
savoureuses parfois. Il avait gardé ce calepin précieusement
et c'est un témoignage émouvant et précieux sur chacun
d'entre nous. J'y lus, ce jour-là, 35 ans plus tard, l'estime
qu'il me portait, qu'il nous portait, avec des mots simples et
des encouragements, ceux qu'il savait adresser à chacun sans
jamais une critique sur ses performances, les mêmes qu'il
m'adressa un jour de 1976 quand, alors que j'étais instituteur
à Rébénacq, je fus malgré moi victime d'une méchante
histoire politico-villageoise et, pendant quelques jours, le
centre d'intérêt des journalistes palois. Les mots simples
avec lesquels il manifesta l'estime qu'il me portait et les
encouragements qu'il me prodigua dans cette courte lettre, me
montraient combien il pensait encore à «ses petits». Ces
quelques lignes me firent le plus grand bien et me donnèrent du
courage pour surmonter l'épreuve.
Je
terminerai cette évocation par un souvenir que j'ai eu le
plaisir de dessiner en BD pour le journal de l'Amicale des
Anciens : cette histoire, avec le recul, prête à rire comme
une nième potacherie, mais ce fait m'avait marqué car ce fut
une des rares fois où je le vis réellement en colère.
Il
avait surtout été déçu par notre comportement : l'un d'entre
nous avait sali l'image de notre école, de ses camarades et des
enseignants que nous allions devenir. Les mots qui le firent
sortir de sa réserve aprés nous avoir tous réunis avec
solennité fusèrent, cinglants : quelqu'un avait chié dans les
douches des vestiaires du stade de Montardon !! Il voulait
savoir qui avait fait ça ! ... Bien sûr, il ne le sut jamais
... Après tout, peut-être était-ce les lycéens agricoles qui
s'étaient vengés de leur défaite, à nos dépends ?
Je
voudrais enfin adresser toutes les condoléances de la famille
normalienne à celle de M. Barets avec une pensée particulière
de ma part à Gérard, son fils : nous avons eu les mêmes
copains en ayant joué un peu au rugby ensemble, lui sur le
terrain, ... moi, sur le banc... Je me réservais pour être au
top le mercredi avec l'équipe de l'EN !!. Je voudrais lui
redire (car il le sait déjà) qu'il avait un père super. Se
doute-t-il que nous sommes très nombreux à vouloir le lui dire
?
Et
pour me permettre une familiarité que le respect m'a toujours
interdite, j'ai envie de te dire ce soir, cher M. Barets : Tchao,
Pierrot, et merci d'avoir tant fait pour que tes Normalos
deviennent des mecs bien. Tchao, Pierrot.