Hommage à Pierre Barets

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  Par Yves Coup, pour l'Amicale, lors des obsèques.

Quand mon ami Gérard Pommès m'a appelé hier à mon école pour m'annoncer la triste nouvelle du décès de M. Barets et me demander de prendre part à l'hommage que nous voulions lui rendre, même si j'ai hésité, brièvement, craignant trop d'émotivité devant notre assemblée d'anciens élèves, d'amis de notre cher prof de gym, j'ai rapidement accepté cet honneur même si ma gorge risque de se nouer parfois, même si parler de quelqu'un, des souvenirs qu'il nous rappelle, de ce qu'il a représenté pour vous, pour moi, c'est forcément parler de soi-même. Parler de moi, certes, mais pour dire ce que M. Barets a su me donner, je préfère dire ... m'infuser, me distiller lentement mais efficacement, à une époque où j'entrais à l'EN, en 1965, petit lycéen palois timide et rondouillard sorti des jupes de sa mère pour plonger dans un monde d'ados boutonneux (je ne l'étais pas encore) et gouailleurs, de Souletins qui me dépassaient d'une tête, d'Aspois et d'Ossalois endurcis par leur enfance montagnarde, des Madiranais aussi larges et forts que leurs pères vignerons. Il allait falloir apprendre à montrer les dents, à passer au travers des volées de polochons dans ces parcours du combattant initiatiques, résister au «  Rance » vindicatif et agressif toujours bizarrement en manque de clopes au moment de monter en salle d'étude.

 

Quand je me suis trouvé pour la première fois face à mon prof de gym, le sport, c'était pour moi une année de judo, une seule. Ceinture blanche, jaune et... l'abandon : je n'aimais pas les chutes. Monter à la corde ? ... 1 mètre... pas plus. J'avais bien les copains sur la place pour jouer au foot après les devoirs. J'avais bien mes copains du lycée : ils m'amenèrent jouer au rugby dans un club palois ... où je me distinguai par mon abnégation à occuper le banc des remplaçants. Ils voulaient être prof de gym et le sont devenus, mais je fus vite à cette époque un frein à leurs courses préparatoires.

 

Et puis l'EN. Et c'est là que j'ai découvert M. Barets, ce petit (à cette époque, il était à peine plus grand que moi et ça, ça me convenait) petit bonhomme trapu à la voix autoritaire à la fois rocailleuse et chuintante, faisant preuve en même temps de persuasion et d'affabilité, de compétence et d'ouverture devant de grands gaillards qui le dépassaient d'une tête et qui, malgré l'esprit frondeur et contestataire dû à leur age savaient rester à l'écoute devant la passion du sport qu'il savait nous transmettre.

 

Je me souviens encore avec quelle précipitation nous descendions à la salle de sport le mercredi matin (ou le Jeudi... je ne sais plus) pour savoir dans quelle équipe nous jouerions l'après- midi. Car il ne s'envisageait pas de passer le mercredi sans sport Co. Peu importe si nous jouerions au hand, au basket, au rugby, si nous partirions à Orthez, à Oloron ou à Montardon, si nous saurions dribbler, pousser ou shooter ; l'important, c'était de trouver notre nom sur le tableau, d'avoir été sélectionné par le coach. Tout le monde avait sa place dans une équipe, c'était l'essentiel pour qu'on puisse aller représenter notre école : on y serait même allé pour couper les citrons ! M. Barets nous faisait confiance, il me faisait confiance, javais pris confiance, j'étais devenu un champion... dans ma tête, qui l'aurait cru ? Robert Paparemborde et Alain Larrouquis ? Même pas peur !! J'avais, grâce à lui et sans m'en rendre compte, découvert les vertus de l'esprit d'équipe, de l'effort sportif et du don de soi... Tout ce qui devait bâtir un enseignant accompli, altruiste et dévoué aux autres.

 

Lors de notre année de Formation professionnelle, alors que M. Berthoul, le Patron comme nous l'appelions, s'étonnait des absences répétées de certains aux cours de psycho de l'enfant ou de pédagogie appliquée, M. Barets pouvait se vanter de faire le plein à toutes ses leçons. Personne n'aurait manqué l'heure de gym où il notait scrupuleusement sur un carnet chacune de nos performances, les annotant d'un commentaire sur notre tempérament ou notre application. J'ai eu le bonheur, il y a 2 ans, lors de notre repas des Anciens, auquel il participait fidèlement, de pouvoir relire toutes ces remarques savoureuses parfois. Il avait gardé ce calepin précieusement et c'est un témoignage émouvant et précieux sur chacun d'entre nous. J'y lus, ce jour-là, 35 ans plus tard, l'estime qu'il me portait, qu'il nous portait, avec des mots simples et des encouragements, ceux qu'il savait adresser à chacun sans jamais une critique sur ses performances, les mêmes qu'il m'adressa un jour de 1976 quand, alors que j'étais instituteur à Rébénacq, je fus malgré moi victime d'une méchante histoire politico-villageoise et, pendant quelques jours, le centre d'intérêt des journalistes palois. Les mots simples avec lesquels il manifesta l'estime qu'il me portait et les encouragements qu'il me prodigua dans cette courte lettre, me montraient combien il pensait encore à «ses petits». Ces quelques lignes me firent le plus grand bien et me donnèrent du courage pour surmonter l'épreuve.

Je terminerai cette évocation par un souvenir que j'ai eu le plaisir de dessiner en BD pour le journal de l'Amicale des Anciens : cette histoire, avec le recul, prête à rire comme une nième potacherie, mais ce fait m'avait marqué car ce fut une des rares fois où je le vis réellement en colère.

 

Il avait surtout été déçu par notre comportement : l'un d'entre nous avait sali l'image de notre école, de ses camarades et des enseignants que nous allions devenir. Les mots qui le firent sortir de sa réserve aprés nous avoir tous réunis avec solennité fusèrent, cinglants : quelqu'un avait chié dans les douches des vestiaires du stade de Montardon !! Il voulait savoir qui avait fait ça ! ... Bien sûr, il ne le sut jamais ... Après tout, peut-être était-ce les lycéens agricoles qui s'étaient vengés de leur défaite, à nos dépends ?

 

Je voudrais enfin adresser toutes les condoléances de la famille normalienne à celle de M. Barets avec une pensée particulière de ma part à Gérard, son fils : nous avons eu les mêmes copains en ayant joué un peu au rugby ensemble, lui sur le terrain, ... moi, sur le banc... Je me réservais pour être au top le mercredi avec l'équipe de l'EN !!. Je voudrais lui redire (car il le sait déjà) qu'il avait un père super. Se doute-t-il que nous sommes très nombreux à vouloir le lui dire ?

 

Et pour me permettre une familiarité que le respect m'a toujours interdite, j'ai envie de te dire ce soir, cher M. Barets : Tchao, Pierrot, et merci d'avoir tant fait pour que tes Normalos deviennent des mecs bien. Tchao, Pierrot.